« Les nouveaux aménagements et lotissements requièrent désormais une autorisation expresse de l’État avant d’être exécutés. »

À l’horizon 2030, près de 10 millions de personnes vivront dans une conurbation qui s’étendra de Jacqueville (à l’ouest) à Assinie (à l’est). Entretien avec le ministre de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme sur les défis et les opportunités d’une « ville en vie », en mutation constante.

Ensuite : Quel est votre rapport personnel à Abidjan ?

Bruno Koné : J’y vis depuis mes 20 ans, depuis mes années d’étudiant. Je l’ai connue relativement tard. Quand je m’y suis rendu pour la toute première fois en vacances, je devais avoir 17 ans. Par contre, j’ai eu la chance et le privilège de bien connaître mon pays, à travers les nombreux voyages effectués pendant mon enfance au gré des affectations (Korhogo, Bouaké, Sassandra, Daloa, Boundiali, Bouaflé, Dimbokro, Bongouanou…) de mon père, agent de l’État. C’est de cette façon que j’ai eu la chance de découvrir le pays profond, et cela laisse évidemment des souvenirs impérissables. Aujourd’hui, lorsque je retourne dans ces cités, je suis témoin des changements qui ont eu lieu en quarante ans, et j’apprécie mieux ce qu’il y a à faire pour corriger les faiblesses infligées par l’usure du temps et les perturbations de l’évolution sociopolitique de notre pays.

À quoi ressemblait Abidjan lorsque vous aviez 17 ans ?

C’était déjà une ville relativement moderne, magnifique. Je la connaissais à travers les photos, la télé, les journaux, les cartes postales… Tout le monde rêvait d’y venir un jour. Et comme j’y étais en vacances et que je n’avais pas beaucoup d’argent, c’est en bus et à pied que j’ai découvert le Plateau avec son architecture très moderne pour l’époque, le quartier chic de Cocody, la bruyante et très commerçante commune de Treichville, PortBouët avec la mer et ses plages, etc.

Nous avons aujourd’hui l’impression d’une croissance sans limite. Cette situation est-elle maîtrisable ?

Tout à fait. Et nous y travaillons en tant que pouvoirs publics. Entre 1990 et 2010, il y a eu quasiment deux décennies de laisser-aller en matière de développement urbain à Abidjan, mais aussi dans la plupart des villes ivoiriennes. Les règles d’urbanisme, de planification, etc. n’étaient pas entièrement observées. Les choses ont peu à peu échappé à l’État, et les populations se sont installées partout, de façon souvent anarchique. En matière d’urbanisme, les erreurs ne se corrigent pas d’un coup de baguette magique. Aujourd’hui, nous devons assumer certains aspects de cette évolution quelque peu désordonnée, tout en continuant à corriger là où cela est possible. C’est ce qui se fait en particulier à travers les grands travaux que vous pouvez observer dans toute la ville. Les plans d’urbanisme et les taux d’occupation du sol ont aussi été revus pour la plupart des quartiers afin de favoriser un habitat plus dense, d’avoir une cité qui «s’étale » moins. Ainsi, par exemple, les nouveaux aménagements et lotissements requièrent désormais une autorisation expresse de l’État avant d’être exécutés. C’est une innovation majeure qui a le mérite d’encadrer l’évolution de la ville.

Le plan directeur 2016 est-il toujours d’actualité ?

Pour être franc, il est en grande partie dépassé, mais tant qu’il n’est pas remplacé, il reste applicable. Un schéma directeur d’urbanisme pris sans les plans de détail qui vont avec est généralement peu efficace. C’est cette extension qui manque depuis 2016. Nous sommes en discussion avec des partenaires au développement (dont l’Agence japonaise de coopération internationale et la Banque mondiale) pour réviser ce schéma et, surtout, l’accompagner des plans de détail qui le rendront opérationnel.

Quels seront les axes principaux de cette nouvelle version ?

Nous allons prendre en compte le concept du Grand Abidjan, un ensemble urbain cohérent qui s’étendra de Jacqueville (à l’ouest) jusqu’à Assinie (à l’est) et inclura les dix communes d’origine d’Abidjan, les quatre proches (Bassam, Anyama, Bingerville et Songon), ainsi que Jacqueville, Bonoua, Azaguié, Dabou et Alépé. Cet espace rassemble actuellement près de 7 millions de personnes. À l’horizon 2030-2035, ce chiffre atteindra plus de 10 millions. Cette révision prendra en compte tous les éléments qui caractérisent la ville : l’habitat, les loisirs, la mobilité et le travail. Une attention particulière sera accordée à l’habitat, surtout près des zones industrielles, afin de faciliter la mobilité. Il faut promouvoir les commerces et le résidentiel autour des pôles économiques. Nous allons également améliorer les voies de circulation. Le chantier de la voie express Y4 de contournement d’Abidjan – le « périph » en quelque sorte – avance. Deux nouveaux ponts sont prévus dans le futur, entre Koumassi et Bingerville et entre Eloka (côté Bingerville) et Bassam. Le 4e pont (Yopougon- Attécoubé-Plateau) et le 5e (Cocody-Plateau) sont en cours d’achèvement. Le métro sera construit sur 37 kilomètres du nord au sud pour la ligne 1, et de l’est à l’ouest (de Yopougon à Bingerville) pour la ligne 2. Enfin, la mise en place du Bus Rapid Transit (BRT), couplée au développement du transport lagunaire, permettra aux populations de circuler beaucoup plus aisément. C’est une vraie révolution urbaine qui s’opère !

Que répondez-vous au citoyen qui « râle », confronté aux embouteillages et aux difficultés liés à ces travaux ? Qu’il faut encore être patient cinq ou dix ans ?

Pas du tout ! Aujourd’hui, certains râlent, comme vous dites, car beaucoup de chantiers ont été entamés en même temps pour combler les lacunes et les retards du passé, et que ces travaux d’ampleur se font dans une ville « en vie », active et très dynamique, ce qui est particulièrement complexe. D’ici la Coupe d’Afrique des nations de janvier 2024, les choses devraient nettement s’améliorer, avec la finalisation de nombre de ces projets. Et surtout, ces grands travaux sont un atout sur le long terme ; ils accroîtront la compétitivité d’Abidjan sur tous les plans et amélioreront sensiblement le cadre de vie des populations. Et nous serons de plus en plus en mode « anticipation » au lieu d’être, comme c’est le cas aujourd’hui, en mode «rattrapage ».

Source. ENSUITE magazine